Écriture et résilience

Le 14/12/2022

 

 

La démarche d’accompagnement en écriture peut être transposée à toutes sortes de situations et s’exporter dans de multiples contextes. On peut s’attarder humblement sur les obstacles et  les drames déjà dépassés héroïquement  ou sur ceux qui bloquent encore l’élan vital. Réunir tous les événements de sa propre vie aide à prendre conscience de ce qui se présente ou se représente à soi et permet de dégager le fil rouge de sa vie en reliant des faits à leurs effets pour que la catharsis des maux mis en mots se produise. On peut parler alors de résilience. Ce terme largement médiatisé à la suite du livre de Boris Cyrulnik, « Un merveilleux malheur » se rapporte tout d’abord à l’aptitude d’un corps à résister à un choc. Appliqué aux sciences sociales, il désigne la capacité à « vivre et à se développer positivement, de manière socialement acceptable, en dépit du stress ou d’une adversité qui comporte normalement le risque grave d’une issue négative. » Cette ressource est intrinsèquement liée au vivant et la nature est riche d’exemples.

Si prendre soin de sa blessure est un préalable, selon Boris Cyrulnik, partager sa souffrance ne suffit pas à diminuer l’impact de celle-ci. Il faut aussi en devenir acteur. L’accompagnement en écriture est une démarche très différente du travail psychothérapeutique. Elle aide la personne à faire le clair en elle, jusqu’à devenir capable d’envisager la valeur et l’unicité de sa vie, de mesurer pour elle-même et pour les éventuels lecteurs, l’importance de la transmission.

Tout au long du processus, un tri parmi les souvenirs, les idées et les émotions s’opère. La reconnaissance manifestée par l’accueil bienveillant du biographe et le fait de tenir le livre de sa vie entre ses mains apportent à la personne, une forme de sentiment d’accomplissement. En tant qu’acte créateur, l’écriture joue un rôle de soutien psychique et spirituel. Au travers du processus de création, par l’acte d’écriture, la douleur n’est plus subie, elle prend acte et l’auteur devient acteur. C’est une façon de reprendre les rênes de sa vie, participant d’une nécessaire et vitale reconstruction. D’emblée, avec la notion de livre à venir (l’objet comme résultat du processus dans lequel elle s’est investie) la personne impliquée dans ce projet d’écriture se détourne de ses ruminations délétères et s’ancre à nouveau dans le présent.  Son projet la propulse dans le futur. Le biographe, ce tiers neutre accueillant la parole et artisan du processus d’écriture, facilite le mouvement vers une juste distance entre celui qui se raconte et ce qui faisait figure de souffrance. Cet écart permet tout à coup une forme de détachement car la souffrance n’est plus en soi, mais hors de soi.

Pour ceuux qui, d’eux-mêmes, ne songeraient à prendre la plume, ne se disent ni ne se racontent auprès de quiconque, la reconnaissance manifestée par l’accueil d’un biographe, son travail de retranscription au plus près de sa pensée et le fait de tenir le livre et leur récit entre leurs mains, tout cela devient une occasion unique d’expansion.

Alors que rien ne prédestinait à devenir auteurs, pour ceux qui se sont prêtés au jeu et ont été écoutés, entendus, pour ceux qui se sont emparés de leur récit, le trauma appartient désormais à un passé sur lequel ils se sont retournés pour le transformer. Cette œuvre alchimique d’écriture n’ayant pas vocation à réparation, elle ne gomme l’événement douloureux ni n’en permet l’oubli. Elle favorise simplement la possibilité de tourner la page pour mieux accueillir le présent et réapprendre à se tourner vers l’avenir.